Même si mon contrat dit clairement « Rédactrice en chef », je n’arrive que rarement à répondre juste ça quand on me demande, et encore moins journaliste. Mon métier aujourd’hui est tellement plus que ça. Comme il n’avait pas de nom, il a fallu en inventer un… chez nous, on appelle ça faire de la Stéphanisation… Mais même comme ça, c’est très incomplet.
Alors déjà, c’est quoi la Stéphanisation ? C’est par exemple quand on te donne un magazine anglais dont on a acheté la licence, que tu en étudies le contenu pour voir ce qui est intéressant à reprendre, que tu vas le traduire, le relire, le corriger, puis si ce n’est pas déjà fait directement dans InDesign alors recouler le texte dans la maquette, la caler, changer les polices s’il le faut, adapter des images, les changer pour des raisons de droit parfois, vérifier que tout est ok, faire la couverture, l’édito, le sommaire, puis faire le PDF pour l’imprimeur et aller se coucher satisfaite.
La Stéphanisation, c’est être un mouton à 5 pattes (minimum). De nos jours, on trouve de plus en plus de métiers qui ont fusionné. Par nécessité budgétaire, ou parfois juste par envie de ne pas se cantonner à une seule tâche. En faisant la même chose tous les jours, toute sa vie, certes, on se spécialise, on devient bon, mais on finit un jour par tourner en rond. En multipliant les possibilités, tout en sachant raison garder et ne pas s’éparpiller dans des choses qui vont trop loin de son champ de compétences, on peut devenir bon dans plusieurs métiers connexes et les pratiquer tous en même temps.
Quel est donc mon métier aujourd’hui ?
« Je fais des magazines » serait peut-être le plus correct, mais toujours pas assez complet, pas représentatif. Je les rêve, et comme ils n’existent pas, je les propose, je les imagine, je les visualise avant même que le premier dossier soit créé sur mon Mac. Je n’attaque pas toujours par le même flanc. Parfois, c’est une maquette qui me vient en premier, je ressens le besoin d’ouvrir InDesign et de placer des blocs avec ici et là les infos que j’aimerais trouver dans ce genre de mag. D’autres fois, ce sont les images. Je les réunis dans des dossiers, elles seront mon moodboard. D’autres fois encore, un simple fichier texte ou une note dans mon iPhone définit les grands traits d’un prochain numéro.
Ensuite vient le chemin de fer. Pour les néophytes, il s’agit du déroulé des pages d’un magazine mis à plat. Et là parfois, c’est l’anarchie… Un peu comme un tableau de maître, une première couche se met en place, des formes vagues, pas un nombre de pages précis, juste des proportions. « Ce dossier devra être assez long, celui-là moins, on équilibrera le moment venu… » D’autres fois, j’ai des propositions de pigistes très précises et les articles rentrent dans les cases sagement les uns à la suite des autres et trouvent leur place comme par magie, sans forcer. Ils s’organisent naturellement presque divinement.
Dans d’autres groupes de presse, ma méthode ne collerait pas. Car c’est une méthode très individualiste. Lorsque je ne monte pas moi-même mes mags, je travaille avec un maquettiste freelance ou interne. En général, il n’aura pas le magazine complet à monter, juste ce qui me prendrait trop de temps. Puis je récupère son boulot et l’adapte. Parfois, je change même complètement l’ordre du chemin de fer une fois les pages montées… Et le maquettiste récupère un assemblage complet et bien propre du mag entier pour l’envoyer chez l’imprimeur.
J’ai besoin de malaxer cette matière. D’abord les idées, puis les textes et images qui arrivent, puis le tout mis en page comme une recette de cuisine que le chef va goûter avant de l’envoyer en salle, ajouter un peu d’épices, de trucs, de machins…
Non, ce n’est pas une méthode classique et j’ai la chance de pouvoir faire ce métier dans une boîte qui m’accepte comme je suis ^^
Mais mon métier ne s’arrête pas là
Aujourd’hui, il y a tout un autre pan dont je m’occupe et que j’apprécie de plus en plus, c’est la partie online, les blogs mais surtout le CM : Community management. La gestion de sa communauté en ligne. Sur Facebook (un peu), sur Twitter (de moins en moins), sur Instagram (de plus en plus !).
J’utilise aujourd’hui des outils comme Hootsuite qui sont nécessaires au nombre important de réseaux que je gère. Même si dernièrement, j’ai recentré les besoins principalement sur Japan Magazine. Prévoir et écrire des billets, trouver les bons mots pour accrocher, les bonnes photos, le bon moment, les bons mots-clés. C’est un travail très proche du journalisme, mais beaucoup plus instantané. Et contrairement au papier, il y a la possibilité de corriger en live, mais aussi le risque que ça s’éparpille très vite. Mais la satisfaction aussi est instantanée. Quand les gens aiment vos photos, vos textes, vos idées et partagent, c’est vraiment très agréable.
Mon métier à travers mes magazines, et surtout ceux qui proposent des tutoriels, est aussi avant tout la transmission de savoir. C’est le cas aussi avec des articles comme ceux de Japan Mag. Mais avec le tutoriel, c’est autre chose. C e côté hotline, c’est un truc qui m’a toujours plu. Aider les autres ça aussi, c’est tellement satisfaisant. Se sentir utile. Pour moi, c’est la raison numéro 1 du travail.
En plus de 20 ans de carrière, j’ai vu grandir des artistes numériques que j’ai connus grands ados et devenir des cadors de Photoshop. Certains ont grandi dans mes magazines. Dans des tutoriels, dans une interview. C’est un peu comme être un sensei. Et la transmission m’a beaucoup plu aussi. J’ai été formatrice pendant quelque temps avant Oracom. J’ai formé des adultes sur Photoshop, Illustrator et InDesign. Des groupes de 3 à 12. Des reconversions professionnelles sur plusieurs mois, comme des formations courtes et précises pour des grosses boîtes comme Hachette ou 20 minutes. Je préparais toujours mes cours au détail près pour être capable de répondre à la moindre question sur la moindre fonction des logiciels enseignés. Et c’était un vrai plaisir de ne jamais leur dire : « Je vais regarder, je ne sais pas trop si c’est possible… » J’ai vu des profs et des formateurs hésitants… et franchement quel plaisir retirent-ils de leur quotidien s’ils ne peuvent pas apporter des réponses tout de suite à ceux qui en ont besoin ?
J’écris, je fais de la photo, des magazines, je passe mon temps sur mon Mac, je joue de la musique, je chante, etc. Et depuis quelques années, j’ai réalisé que, sans y penser, naturellement, sans l’avoir consciemment décidé en tout cas, ce que je fais aujourd’hui au quotidien réunit tout ce que j’ai toujours aimé.
On m’a dit ado : « Le dessin c’est bouché, trouve autre chose » (ils avaient du voir mon croquis d’Harry Potter…) alors j’ai pris une orientation aléatoire. Je ne pensais pas qu’un jour mes pas me mèneraient vers la route que j’avais toujours voulu emprunter. Par les hasards de la vie. C’était un peu comme naviguer à vue et avancer au flair… « Ah, tiens, ya de la lumière par là, allons voir ! »
Les gens rencontrés, ces connexions hasardeuses qui vous guident vers votre chez vous.
C’est quoi ton métier ?
C’est faire des trucs que j’aime pour ceux qui en ont besoin.
Ce soir, j’ai aidé Léna qui en avait besoin, elle m’a inspiré cet article.